Compte-rendu table ronde : Les compétences nécessaires à un numérique responsable
Jeudi 13 octobre 2022 avait lieu, dans les locaux de Spaces, au quai de l’Ile à Genève, un afterwork « Futur des jobs » organisé par la Fondation Nomads en partenariat avec la société IWG Suisse (Signature, Regus, Spaces). Cette table ronde, animée par la journaliste Irma Danon, réunissait Fabrice Consenti, cofondateur et directeur d’Edificom, Sandrine Barrucand, responsable communication et événements d’Alp ICT et de l’Institut du numérique responsable Suisse, Alexander Barclay, délégué au numérique du Canton de Genève, et Sébastien Dubas, Communication and Project Manager à la Fondation Ethos. Les quatre intervenants ont fait part de leurs connaissances sur les pratiques à adopter pour contribuer à une utilisation responsable du numérique.
Aujourd’hui, le numérique est omniprésent. Presque tout le monde l’utilise et s’y est familiarisé. Toutefois, rares sont ceux qui ont pris conscience de la pollution considérable qu’il génère. Et encore plus rares ceux qui font un effort pour réduire leur impact numérique sur l’environnement. Pour y parvenir, il faut agir sur deux axes, selon Sandrine Barrucand. Tout d’abord en n’utilisant que ce qui est nécessaire et en écartant le superflu. On privilégiera par exemple les photos et vidéos en basse résolution, on évitera d’envoyer des e-mails avec copie à tous si cela n’est pas indispensable ou de mettre en pièces jointes de nombreux fichiers en haute résolution. Et l’on ne laissera pas allumés ou en veille des appareils que l’on n’utilise pas. Ensuite, on ne renouvellera pas ses ordinateurs, tablettes et smartphones chaque fois qu’un nouveau modèle arrive sur le marché. Au contraire, on s’efforcera de prolonger leur vie autant que possible et de favoriser le recyclage. Car, comme le dit cette spécialiste de la responsabilité numérique : « L’ordinateur qui ne pollue pas, c’est celui que l’on ne fabrique pas ». La production d’un ordinateur de bureau représente en effet 370 litres de pétrole et 2800 kilos de matières premières, dont la plupart sont non renouvelables.
Si les bonnes pratiques d’utilisation semblent évidentes pour les connaisseurs, elles sont ignorées d’une grande partie des utilisateurs. Surtout des très jeunes, qui sont nés avec les écrans et y passent de longues heures chaque jour, principalement sur des applications très gourmandes en énergie, comme les jeux en ligne et le streaming. C’est pourquoi, pour Fabrice Consenti, il faut sensibiliser les utilisateurs dès leur première jeunesse pour leur inculquer des habitudes moins gourmandes en énergie, notamment en évitant de consommer du courant en permanence, tout comme on ne laisse pas un robinet ouvert 24 heures sur 24.
Les jeunes ne sont toutefois pas les seuls concernés. Les entreprises le sont également. Elles devraient par exemple privilégier des serveurs locaux pour sauvegarder leurs données. Cela dit, les choses évoluent peu à peu : de plus en plus de sociétés mettent en place une comptabilité carbone pour évaluer leur consommation et l’améliorer. Sandrine Barrucand cite l’outil WeNR. Ce programme gratuit, que l’on peut télécharger sur internet, permet de chiffrer l’empreinte environnementale du système d’information d’une entreprise ou d’une institution et de mesurer son niveau de maturité numérique responsable.
Dans le secteur public, une réelle prise de conscience se dessine. Alexander Barclay, pour qui l’Etat a un devoir d’exemplarité, explique que le canton de Genève a défini une politique numérique pour poser une vision politique du Canton à l’ère numérique et assurer la cohérence de ses actions. Un projet de loi a été adopté en septembre par le Grand Conseil pour ancrer le droit à l’intégrité numérique dans la Constitution cantonale. Il devrait être soumis au peuple l’année prochaine. De plus, le Canton a entrepris une démarche de sobriété numérique, notamment en prolongeant la durée de vie de son parc informatique, en réduisant le nombre de ses imprimantes et en calquant sa politique d’achats au plus près de ses besoins. Il entreprend également des actions pour sensibiliser les entreprises et la population à la pollution numérique. Un programme de formation est proposé gratuitement aux entreprises pour les aider à adopter les bons outils et les pratiques adéquates en matière de responsabilité numérique. Prochainement, un logiciel d’auto-évaluation sera mis à leur disposition pour mesurer leur degré de maturité en termes de responsabilité numérique et les faire bénéficier de conseils stratégiques et d’échanges de bonnes pratiques.
La dimension sociale est aussi prise en compte par le Canton : il faut éviter qu’une fracture numérique se crée et mette à l’écart des pans entiers de la société. Alexander Barclay précise que cette fracture ne menace pas seulement ceux qui ne disposent pas d‘outils informatiques tels qu’un smartphone ou un ordinateur. Elle concerne aussi ceux qui les utilisent mal : il cite l’exemple de jeunes très à l’aise pour publier des vidéos sur les réseaux sociaux, mais en difficulté lorsqu’il s’agit de trouver une entreprise sur le web quand ils cherchent une place d’apprentissage. Enfin, il faut que les personnes concernées puissent avoir accès à un accompagnement leur permettant de combler leurs lacunes ou leur retard. Dans cette optique, l’Office cantonal de l’emploi a par exemple mis en place un espace qui permet d’apprendre à utiliser les outils informatiques, à créer une adresse e-mail et à surfer sur internet afin de faciliter la recherche d’un emploi.
Qu’en est-il du secteur privé ? Sébastien Dubas relate que l’année dernière, la Fondation Ethos a voulu faire un état des lieux de la responsabilité numérique au sein des grandes entreprises du pays. Par un questionnaire, Ethos a interrogé les quarante-huit principales sociétés cotées en Suisse. Cette démarche a révélé qu’elles n’ont encore que peu conscience de cette problématique, et pas de grand intérêt pour le sujet : seules douze d’entre elles ont répondu. L’enquête a été répétée cette année, et dix-huit questionnaires ont été retournés. Ce qui prouve, pour Sébastien Dubas, que l’on n’en est encore qu’aux balbutiements dans cette prise de conscience, même s’il perçoit une lente amélioration. Il note aussi la difficulté de trouver des interlocuteurs de référence dans les entreprises, les responsabilités semblant être disséminées entre plusieurs services, ce qui montre que le sujet ne constitue pas encore un domaine à part entière et est trop souvent sous-estimé.
Pour conclure, il apparaît que si les bonnes pratiques pour un numérique responsable progressent depuis quelques années, elles sont encore loin d’avoir atteint un niveau satisfaisant. Le secteur public fait de plus en plus d’efforts dans ce domaine, mais ceux-ci restent encore trop rares dans le privé, sauf pour quelques sociétés très impliquées dans l’écologie et soucieuses de leur empreinte carbone. Quant aux particuliers, surtout les plus jeunes, il leur est difficile de résister à l’offre d’appareils de plus en plus performants et gourmands et à la tentation de rester connectés en permanence. Un gros travail reste à faire pour qu’ils prennent conscience de leur responsabilité individuelle dans une utilisation responsable de leurs outils informatiques.