
L’IA va-t-elle réécrire votre entreprise?
Et si la plus grande révolution de l’IA résidait dans la manière dont nous allons l’utiliser pour construire nos propres outils? C’est le point de départ de la réflexion d’Andrej Karpathy, l’une des voix les plus influentes de l’écosystème IA mondial (ex-Tesla, OpenAI).
Insight: rédigé en collaboration Stéphane Fallet, Fondateur de Rapid Rise & Président d’AI Swiss
Les 3 idées d’Andrej Karpathy pour les PME suisses
Sa vision du futur du logiciel nous semble offrir un éclairage puissant. Dans un domaine dont les frontières reculent chaque mois, ses idées ne sont pas des certitudes, mais des repères pour penser l’action aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons souhaité explorer trois de ses concepts clés pour nourrir la réflexion stratégique des PME en Suisse romande.
Le concept: l’avènement du « Software 3.0 »
L’idée fondamentale de Karpathy est la suivante: nous entrons dans l’ère du « Software 3.0 », où l’on programme les ordinateurs en langage naturel. Après le code « classique » (Software 1.0) et les réseaux de neurones (Software 2.0), l’humain peut désormais construire un outil en décrivant simplement son besoin à la machine.
Cette révolution, incarnée par des plateformes comme ChatGPT ou Copilot, rend la création logicielle accessible à tous. En Suisse, les usages se multiplient: des collaborateurs sans bagage technique conçoivent dorénavant des prototypes d’applications, des automatisations ou des analyses de données. Le rôle du développeur se transforme en celui d’un chef d’orchestre qui pilote l’IA par le dialogue et le feedback.
Idée 1: La démocratisation radicale par le « Vibe Coding »
Le « Vibe Coding », ou codage « à l’intuition », est la conséquence directe de ce changement. Il permet à tout collaborateur — marketing, logistique, administration — de matérialiser ses idées via une IA, sans dépendre du budget IT ou de compétences techniques rares.
Les chiffres confirment cette tendance. Gartner anticipe que d’ici 2026, plus de 75% des applications naîtront sur des plateformes low-code ou no-code, contre à peine 5% en 2021. Ce mouvement est déjà sensible en Suisse, où formations et services spécialisés émergent. En confiant la création à ceux qui connaissent le mieux le terrain, les PME peuvent innover plus vite et à moindre coût.
Le commentaire de Stéphane Fallet:
Du prototypage à la production
« Nuance cruciale, le « Vibe Coding » est un outil formidable pour le brainstorming, la création de preuves de concept (POC) ou pour présenter une idée à des décideurs. Cependant, le passage en production est une autre affaire. »
Passer du mini-assistant personnel à une application d’entreprise robuste soulève des questions critiques:
- Maintenance : Qui assure les mises à jour et la maintenance une fois l’outil déployé, surtout si son créateur initial n’a pas de compétences techniques ?
- Gouvernance : Comment garantir la sécurité des données et la conformité, surtout lorsque l’on crée une forte dépendance à une plateforme externe ?
- Intégration : Une application devient vraiment puissante lorsqu’elle se connecte aux systèmes existants (CRM, ERP…). Cela nécessite une expertise bien plus proche du DevOps que du simple dialogue avec une IA.
Le « Vibe Coding » est donc un accélérateur d’idéation exceptionnel, mais l’industrialisation exige de délimiter clairement son périmètre et d’anticiper sa supervision technique.
Idée 2: L’augmentation, pas la substitution – Vers le « costume d’Iron Man »
Andrej Karpathy est formel: l’IA ne remplacera pas massivement l’humain, du moins pas à court terme. Sa métaphore du costume d’Iron Man est plutôt juste : l’IA agit en « copilote » qui décuple la productivité des collaborateurs, sans jamais supprimer le facteur clé de leur succès: l’expertise humaine.
L’exemple de Tesla est parlant: après une décennie de R&D, la conduite 100% autonome reste un objectif lointain. En revanche, la collaboration homme-machine génère déjà des gains opérationnels majeurs. Pour une PME suisse, cela signifie automatiser les tâches répétitives, accélérer la recherche d’information et faciliter la prise de décision, tout en capitalisant sur le savoir-faire unique de ses équipes.
Le commentaire de Stéphane Fallet:
Le pilote reste l’expert
« Le costume d’Iron Man ne fonctionne que parce que Tony Stark est aux commandes », rappelle Stéphane. « Le copilote IA est un formidable assistant, mais il n’est pas infaillible. Il peut commettre des erreurs, « halluciner » des informations ou proposer des solutions inadaptées au contexte. La vigilance et l’esprit critique de l’expert humain sont plus que jamais nécessaires pour valider, corriger et orienter le travail de l’IA. L’objectif n’est pas de suivre aveuglément la machine, mais de l’utiliser pour augmenter sa propre intelligence. »
Idée 3: Préparer le futur en devenant « lisible » par les machines
Le dernier axe est le plus visionnaire : l’avènement des agents IA autonomes. Demain, vos clients, partenaires ou fournisseurs pourraient être des IA. Pour rester pertinent dans cet écosystème, votre entreprise doit devenir « lisible » par les machines.
Cela implique concrètement de :
- Structurer l’information : Adopter des formats clairs comme le Markdown (un langage de balisage simple pour mettre en forme du texte lisible par tous) pour la documentation.
- Ouvrir des portes standardisées : Mettre en place des APIs (interfaces de programmation) pour que des services externes puissent interagir avec vos données de manière contrôlée.
- Adopter les nouveaux standards : Se préparer à des fichiers comme le llms.txt (un équivalent du robots.txt pour les IA) qui indiqueront aux IA comment interagir avec votre site.
Le commentaire de Stéphane Fallet:
Commencer par les fondations
« Avant de penser aux agents IA de 2030, il faut déjà s’assurer que nos propres systèmes se comprennent entre eux en 2025 », tempère Stéphane. « Rendre son entreprise « lisible » commence de manière très pragmatique: structurer proprement ses données produits, centraliser sa documentation, avoir un catalogue de services clair. Ces actions ont un bénéfice immédiat pour votre visibilité en ligne (SEO) et votre efficacité interne. C’est ce socle de données propres et organisées qui vous préparera réellement à l’avenir, quel qu’il soit. »
Pistes de réflexion pour les PME suisses
La vision de Karpathy n’est pas de la science-fiction. Pour les PME helvétiques, trois pistes de réflexion émergent:
- Expérimenter, avec humilité. Lancez-vous dans le « Vibe Coding » pour prototyper. Mais gardez à l’esprit que si les résultats sont bluffants, ils ne sont pas encore industrialisables en un clic. L’intégration avec vos systèmes existants via des connecteurs (API) est le premier pas indispensable vers une solution robuste et pérenne.
- Augmenter, sans remplacer. Adoptez les copilotes et les assistants IA pour amplifier la qualité et la vitesse de vos équipes. Le plus grand gain de productivité réside dans la valorisation de votre capital humain, qui reste le pilote de l’outil.
- Structurer, pour l’avenir. Rendez vos informations et services accessibles et bien organisés. C’est un avantage compétitif qui se construit dès aujourd’hui sur des bases saines, avant même de parler d’agents IA.
L’agilité, la qualité et l’innovation sont inscrits dans l’ADN de l’économie suisse. Prendre ce virage, c’est renforcer ces piliers. Dans un domaine qui évolue si vite, ces principes, pertinents en septembre 2025, offrent une boussole pour construire, pas à pas, votre propre « costume d’Iron Man ».