Home / Insights / Quand l’IA dévore le logiciel

Quand l’IA dévore le logiciel

En 2011, Marc Andreessen prophétisait dans le Wall Street Journal que «le logiciel dévore le monde». Il avait raison. En une décennie, chaque industrie, de la finance à l’agriculture, a été transformée par des lignes de code. Mais à l’aube de cette nouvelle année, cette citation semble déjà appartenir à l’histoire ancienne. Une nouvelle force est entrée en jeu. Comme le soulignent désormais les grandes figures de la Silicon Valley, la nouvelle réalité est sans appel: «L’IA est en train de dévorer le logiciel». Cette évolution marque un point de bascule pour l’économie numérique. Nous passons d’une ère où l’humain utilisait le logiciel comme un outil, à une ère où l’IA génère, remplace et pilote le logiciel.

Insight: rédigé par Delphine Seitiée

L’enjeu central de l’interface: vers un nouvel OS universel

Le premier terrain de cette transformation se situe au niveau de l’interface. L’objectif des géants du numérique n’est plus seulement de proposer un assistant conversationnel, mais de devenir le système d’exploitation de notre vie numérique, rendant les applications traditionnelles quasi invisibles.

  • Le rêve de la Super App (OpenAI): avec le déploiement de moteurs de recherche génératifs (type SearchGPT) et les développements autour de navigateurs propriétaires, l’ambition est claire: créer une expérience unifiée. Pourquoi naviguer entre dix applications si une seule fenêtre de conversation peut orchestrer toutes ces tâches?
  • La stratégie d’intégration (Google): l’approche de Google est tout aussi significative. En injectant l’IA au cœur des suites bureautiques et des systèmes d’exploitation mobiles, l’acteur historique ne demande pas à l’utilisateur de changer d’outil. Grâce à sa capacité à analyser des contextes massifs, l’IA traite déjà nos emails et documents pour automatiser le travail de bureau, modifiant profondément notre usage des logiciels classiques.
  • L’émergence des «Assistants-Navigateurs» (Perplexity) : De nouveaux acteurs comme Perplexity et son navigateur Comet proposent une vision différente. Ces outils se positionnent comme des « Assistants Personnels » qui naviguent pour vous. Au lieu d’afficher une liste de liens, ils synthétisent l’information et exécutent des tâches complexes. L’interface s’efface au profit de la réponse directe.

La fin des barrières techniques

C’est la structure même de la création de valeur qui évolue. Jensen Huang, le patron de Nvidia, a résumé ce changement lors du Sommet mondial des gouvernements: «Le langage de programmation du futur, c’est le langage humain.»

Concrètement, l’accès à la technologie se simplifie. Jusqu’à présent, pour créer un outil numérique, il fallait des interprètes (les développeurs) capables de traduire une idée en code informatique complexe. Aujourd’hui, l’IA réduit cet intermédiaire. Il suffit de décrire ce que l’on veut en français ou en anglais pour générer une application ou un script. La valeur ne réside plus dans la maîtrise technique de la syntaxe, mais dans la capacité à définir le bon problème et à imaginer la solution.

Le rappel à l’ordre scientifique: l’intelligence n’est pas (encore) le monde

Si l’industrie s’emballe sur la transformation du logiciel, le père fondateur de la discipline appelle à la nuance. Yann LeCun, prix Turing et ex-directeur de la recherche en IA chez Meta, rappelle régulièrement que les modèles de langage actuels ne sont pas une panacée.

Son argument est scientifique: les modèles actuels maîtrisent la syntaxe, mais ne comprennent pas la réalité physique. Ils n’ont pas de «bon sens». LeCun plaide pour un changement d’architecture vers des «World Models» (Modèles du Monde) et une IA orientée vers l’objectif.

Concrètement, l’IA de demain ne devra pas seulement produire du texte probable, mais être capable de planifier, de raisonner et de comprendre les contraintes du monde réel avant d’agir. Cette distinction suggère que le logiciel ne va pas disparaître, mais se durcir. Nous aurons toujours besoin d’ingénieurs pour valider que ce que l’IA «imagine» est physiquement possible.

🇨🇭 Le point de vue d’Alp ICT: la carte suisse du «physique»

Pour le tissu économique de Suisse occidentale, ce changement de paradigme est à la fois une menace pour le modèle SaaS classique et une opportunité majeure.

Yann LeCun rappelle que l’IA actuelle manque de «bon sens» physique. Or, l’économie suisse est justement ancrée dans le réel: robotique de précision, horlogerie, medtech, infrastructures énergétiques. Contrairement à un chatbot qui peut halluciner un poème sans conséquence, une IA qui pilote une machine-outil ou un dosage médicamenteux dans un hôpital n’a pas le droit à l’erreur.

L’opportunité pour nos PME pourrait donc se dessiner autrement: ne pas chercher à rivaliser sur la génération de texte grand public face aux géants internationaux, mais devenir les champions de l’IA du «Last Mile» (le dernier kilomètre).

Le développeur romand de demain ne sera peut-être plus celui qui écrit du code standardisé, mais l’architecte qui saura marier la puissance générative des modèles avec la rigueur de l’ingénierie suisse. L’enjeu est de créer des «World Models» fiables, certifiés et sécurisés. L’IA dévore peut-être le logiciel «bavard», mais elle a plus que jamais besoin d’experts du métier pour se confronter à la réalité.

Scroll up

#TechDemo x Pulse Partners 20 mai 2025 – en ligne